ESADSE

2024
.école .supérieure d’.art
et .design de .saint-.étienne

Semaine de workshops
à l’ESADSE 

25-29
03/24

Karim Ghaddab, professeur d’histoire et théorie
des arts ESADSE. Romain Mathieu, professeur d’histoire
de l’art ESADSE

La semaine s’est construite à partir de l’idée d’une bifurcation par rapport à l’organisation habituelle de l’école. En effet, l’organisation de l’école repose sur des ateliers techniques (bois, métal, céramique) de très bonne qualité et distincts, à la fois dans les espaces architecturaux et dans la pédagogie, des enseignements des professeurs, qu’ils soient théoriciens, artistes ou designers. Nous avons cherché à construire la semaine de workshop à partir des ateliers techniques et avec des projets portés à la fois par les techniciens et les enseignants.

D’autre part, la semaine de Saint-Étienne a aussi été l’occasion de développer et d’acquérir de nouvelles pratiques. Ainsi le développement du tufting durant cette semaine s’inscrit dans une volonté de donner accès sur le long terme aux étudiants à une pratique textile. L’atelier de bijoux a permis d’initier une pratique qui n’existait pas à Saint-Etienne auparavant. Enfin, avec cette semaine de workshop, la pratique de la lithographie - qui avait existé des années auparavant mais qui avait été interrompue - a été relancée.

Ces trois pratiques - textile, bijou, lithographie - ont fait l’objet d’un investissement sur un temps long.

  • Lithographie : Formation d’une enseignante encadrante, rénovation de la presse lithographique, échange et préparation avec les écoles partenaires pratiquant la lithographie (En particulier ArBA et l’Université des Beaux Arts de Porto).

  • Textile : recrutement d’une enseignante spécialisée dans l’art textile, acquisition de matériel…

  • Bijou : formation de deux enseignantes et d’un groupe d’étudiants aux Meilleurs Ouvriers de France (MOF), acquisition de matériel (voir Infra).

La semaine de workshop a été véritablement un moment d’intensification afin d’inscrire ces pratiques dans la pédagogie.

Liste des ateliers :

  • Tufting

  • Batik

  • Peinture sur paravent

  • Photographie primitive (sténopés)

  • Bijoux

  • Emaux

  • Lithographie

Liste des conférences :

  • Tim Ingold: Digitization and Fingerwork

  • Sophie Lefèvre: Jean Vendome, artiste et artisan

  • Michael Woolworth: Sous pression à Saint-Etienne - 40 ans d’éditions d’art et de collaborations avec les artistes

Une exposition des travaux fut ensuite organisée à l’occasion des Journées Européennes des Métiers d’Art.

Enfin, cette semaine, qui était la dernière du programme, a permis de prolonger et réunir les expérimentations pédagogiques qui avaient eu lieu au préalable, lors des différents séjours dans les écoles partenaires, tout au long du projet Arts & Crafts Aujourd’hui. Ces expériences pédagogiques ont conduit à concevoir la semaine selon trois axes :

Communauté des pratiques art/design

À l’origine du projet Arts & Crafts, aujourd’hui se trouvait, entre autres, la volonté de faire dialoguer étroitement art et design, ainsi que l’avaient fait les acteurs historiques du mouvement anglais. S’appuyant sur l’histoire économique, culturelle et sociale de Saint-Étienne (le bassin minier, les industries lourdes, la Manufacture d’armes, Manufrance, l’essor du design depuis une vingtaine d’années…), le programme pédagogique de l’ESADSE repose sur un écosystème particulier qui fait que l’enseignement et la pratique de l’art et du design y sont étroitement mêlés et se stimulent l’un l’autre. Arts & Crafts, aujourd’hui a donc été l’occasion de mettre à l’épreuve cette proximité et cette différence entre les deux disciplines.

Très concrètement, la totalité des workshops a ainsi entrelacé des formes et/ou des techniques qui circulent à la frontière de l’art et du design, vivifiant les deux champs, à l’encontre d’une conception trop étroite qui ne verrait dans l’art que des pratiques qui négligent la production d’objets et dans le design des objets strictement utilitaires pour lesquels le coefficient d’art se limiterait à une forme enjolivée, supposée séduire le marché. Par exemple, la production de paravents ou de bijoux est généralement associée au design, mais c’est oublier qu’ils ont été explorés par nombre d’artistes. De même, bien qu’elles soient issues des arts appliqués, des techniques spécifiques comme les émaux de Longwy, la lithographie ou le tufting sont aujourd’hui utilisées par de nombreux artistes. Enfin, on constate des collaborations, des modèles de production et des types d’objets qui, sans effacer les identités et les spécificités, brouillent les frontières entre art et design.

Communauté des apprentissages

Les workshops ont également été pensés pour redistribuer les relations d’apprentissage. Du fait du programme lui-même, les savoirs techniques et la maîtrise des outils se sont trouvés au centre. De ce fait, les techniciens et assistants d’enseignement ont été moteurs dans la conception des workshops et se sont trouvés au cœur de cinq ateliers (sur sept), en binôme avec un professeur ou en autonomie complète. L’un des ateliers a même été pensé et mené par un étudiant (Loïc Bonche, doctorant en art, en co-tutelle avec l’ESADSE et l’UQAM). Ce brassage des attributions et compétences usuellement très marquées par la nomenclature des écoles d’art (Professeur d’enseignement artistique/assistant d’enseignement/technicien/étudiant) s’est révélé doublement profitable, les professeurs (notamment pour les disciplines théoriques) ayant pu mettre « la main à la pâte » (selon les principes pédagogiques d’expérimentation et d’investigation énoncés par Georges Charpak, prix Nobel de physique et Tim Ingold, anthropologue) et les praticiens ayant pu mettre leur expertise au centre du processus pédagogique. C’est une conception cumulative des différences et non une recherche du plus petit dénominateur commun, laquelle conduirait à ignorer les différences ‒ considérées comme irréductibles et incompatibles ‒ pour ne conserver que quelques points communs supposés faire consensus. Le modèle obsolète du couple binaire sachant/apprenant a ainsi pu être dialectisé, non pas en minorant l’intérêt et la pertinence des savoirs, mais au contraire en élargissant les définitions et la portée de ceux-ci : il n’y a plus un savoir unique face à une ignorance, mais une multiplicité de compétences diverses qui circulent dans l’ensemble de la communauté éducative.

Communauté des cultures

Les ateliers ont été organisés pour permettre des rencontres entre étudiants, mais aussi entre enseignants et techniciens des différentes écoles. Grâce à une inscription en amont de la semaine, les étudiants ont pu être également répartis dans les différents ateliers. Surtout, les projets d’atelier ont été présentés dès leur conception aux enseignants des autres écoles qui ont été ainsi invité à participer et à nourrir de leur propres approches ces ateliers. Par exemple, l’atelier de céramique a impliqué des enseignants de Porto et Tétouan. Construit autour de l’émaillage et des motifs avec un technique particulière qui est celle des émaux de Longwy, l’atelier s’est enrichi des approches et des pratiques de Susana Piteira (Porto) et de Amine Asselman (Tétouan). Réunis autour d’une pratique d’atelier, les encadrants ont également mis en œuvre un dialogue entre des traditions différentes - le zellige, les azulejos - qui sont venues alimenter une production commune. L’atelier est devenu un temps de croisements et de rencontres.

  • Sandrine Binoux

    Atelier photographie primitive

L’idée de cette semaine de workshop Arts & Craft était de bousculer notre pédagogie habituelle en prenant comme point de départ les ateliers techniques de notre établissement. L’idée sous-jacente était de s’appuyer sur l’ensemble des ressources de notre école et d’associer les compétences de chacun d’entre nous qui constituons ce vivier; étudiants, techniciens et enseignants; sur le principe de l’horizontalité. Nous avons donc imaginé des approches plastiques plus concrètes ce qui nous a permis de mettre en place des protocoles pédagogiques beaucoup plus actifs.

Il s’agissait de comprendre que certaines techniques nécessitent du temps de mise en œuvre et obligent à une économie de moyen afin de revenir aux sources du médium. S’obliger parfois à prendre des risques en pratiquant hors de son champ de référence et ainsi travailler plus sur l’expérience que le résultat.

Concernant plus particulièrement l’atelier photographie, nous avons souhaité cheminer à nouveau dans les voies artisanales qu’empruntaient les pictorialistes, à la fin du XIXe siècle.

Il était question de permettre aux participants de s’impliquer dans tout le processus de la création d’une image, de la construction de son appareil photo, à la prise de vue, jusqu’au tirage. On a travaillé à une photographie dite primitive : surexposition, flou de bouger, décadrage, salissures… L’idée était de renouer avec la matérialité de l‘image à contre-courant de l’image numérique, de l’image flux éphémère qui s’échange dans la seconde mais se perd ensuite dans les méandres d’un cloud. Loin de la « fast-photographie », ici la notion du temps photographique a été revisitée.

Cette importance du temps, impliquée par l’utilisation d’appareils archaïques, est plus qu’une mécanique de production, il permet de saisir la temporalité d’une image en tenant compte de l’avant et de l’après du geste photographique.

  • Cécile Van der Haegen

    Atelier Tufting

L’objectif de cette semaine d’atelier Arts & Craft était de « révolutionner » notre approche pédagogique en partant des techniques artisanales de notre établissement. Nous avons cherché à exploiter pleinement les ressources de notre école en associant les compétences de tous les acteurs, qu’il s’agisse d’étudiants, de techniciens ou d’enseignants, dans un esprit d’horizontalité. Cette démarche nous a conduit à envisager des pratiques plastiques plus tangibles, ce qui a permis d’instaurer des protocoles pédagogiques beaucoup plus dynamiques.

Nous avons ainsi pris conscience que certaines techniques exigent du temps et requièrent une certaine économie de moyens pour revenir aux fondamentaux du médium. Nous nous sommes parfois risqués à sortir de notre zone de confort pour expérimenter au-delà de nos références habituelles, mettant l’accent sur l’expérience plutôt que sur le résultat final…

  • Elen Gavillet

    Designer, enseignante esadse /master objet.

    Atelier céramique, émaillage

  • Marie-Aurore

    Stiker-Metral
Designer, enseignante esadse /master objet.


    Atelier bijoux

Le workshop Bijoux, dans l’atelier de Fonderie animé par Kristýna Spanihelová, en Octobre 2023 à Bratislava a été notre première expérience dans le programme Arts&Craft. Cet échange a nourri nos pratiques de designer et donc celles d’enseignante-praticiennes.

Nous avons travaillé à Rona Gallery, sur un pied d’égalité entre enseignants et étudiants, mêlant ainsi nos regards de créateurs respectifs. Nous avons également perçu l’intérêt d’une réflexion interdisciplinaire, mêlant art et design, théorie et pratique.

Nous avons pu nous familiariser avec différentes techniques (verre à chaud, verre au chalumeau, moule en sable et coulage du laiton ou de l’étain) et faire des ponts entre ces différentes techniques.

Cette formule nous a inspiré pour construire les workshops que nous voulions proposer à St-Étienne, au mois de mars suivant.

À notre retour, la direction de l’ESADSE nous a fait bénéficier, avec quelques étudiants, d’une formation animée par les Meilleurs Ouvriers de France (MOF) pour perfectionner nos connaissances en fabrication de bijoux. Nous avons pu expérimenter des techniques différentes de celles découvertes à Bratislava et comprendre en quoi elles pouvaient être complémentaires. C’était un premier jalon pour transférer ces apprentissages à l’ESADSE.

Cette initiative a aussi participé à renforcer le parc machine de l’école en outils dédiés aux bijoux, ce qui est nécessaire pour faire vivre ce savoir-faire dans nos mains et dans nos murs. Bertrand Mathevet, de l’atelier métal, soutenu par l’école a pu investir dans ce matériel qui a contribué à la réussite de l’atelier animé par Marie-Aurore Stiker-Metral lors de la semaine Arts & Crafts de mars 2024 à St-Étienne.

Ces compétences et outils nouvellement acquis nous permettront d’accompagner les étudiants dans des champs d’expériences plus vastes. En parallèle Vincent Rivory (atelier céramique) et Elen Gavillet souhaitaient faire inviter Coralie Marchal, cheffe d’atelier de la manufacture des Émaux de Longwy, une maison experte de pose de décor en émail cloisonné sur faïence.

Le programme Arts&Crafts a permis d’organiser sa venue et de transmettre aux étudiants les savoir-faire d’une entreprise qui a plus de 200 ans d’expérience.

Pour que ce workshop fonctionne nous avons adapté nos ateliers aux techniques de la manufacture des Émaux de Longwy, et préparé en amont des outils et des pièces pour répondre à notre ambition : celle de faire de l’émail cloisonné dans nos ateliers avec nos moyens; de créer un pont entre les savoir-faire de la manufacture et les capacités techniques d’une école.

L’organisation de ces ateliers nous a amené à travailler en équipe de manière décalée par rapport à nos habitudes. Ce programme a aussi permis de nouvelles collaborations au sein de notre établissement : les mentions Art et Design se sont mélangées en travaillant dans les mêmes ateliers, les enseignants ont travaillé en étroite collaboration avec les techniciens qui ont été associés largement en amont, les praticiens des écoles invités ont présentés leurs travaux aux étudiants, et les étudiants ont découvert de nouvelles techniques artisanales qui influencent leur projet d’école et de diplôme.

Cette expérience a permis d’inclure les membres de la scolarité dans ce vaste projet, et à certains de s’essayer même à des pratiques artisanales.

Les collaborations humaines qu’il a fallu mettre en place pour réaliser cette expérience nous ont montré une nouvelle façon de « faire école ».

Le processus pédagogique
de la bifurcation

Romain Mathieu

La diversité des pratiques

Le programme Arts and Crafts s’est inscrit progressivement dans le quotidien de l’ESADSE, avec une pédagogie qui a pu être nourrie par les semaines de workshops dans les écoles partenaires mais également par la préparation de notre propre semaine qui a demandé un investissement sur le long terme.

Sur le plan pédagogique, la semaine à Montréal au printemps 2023 a été très enrichissante. Le séminaire de Master que nous organisons à l’ESADSE, qui est un séminaire théorique, s’est librement inspiré de la méthode de lecture mise en œuvre à Montréal par Mario Coté. Les textes en rapport avec Arts and Crafts aujourd’hui, notamment les écrits de William Morris, ont été abordé avec les étudiants selon une approche qu’on pourrait qualifier de matérielle, avec une proposition de découpage par fragments que chacun s’approprie individuellement avant de reconstituer l’unité textuelle par une discussion commune.

À Bratislava, les enseignantes Marie-Aurore Sticker Metral et Elen Gavillet ont pu travailler à la fabrique de verre Rona en collaboration avec les enseignants des écoles partenaires et aussi avec une horizontalité, au sein de l’atelier, entre enseignants et étudiants, tous réunis pour une pratique commune, à savoir le verre. Cette expérience a nourri la préparation de la semaine à l’école mais aussi des moments de pédagogie en atelier.

L’idée prospective qui en résulte est d’avoir dans l’année des moments où enseignants, techniciens et étudiants se retrouvent autour d’un « faire », dans un moment de production où se développe cette horizontalité.

Dans la logique du programme Arts and Crafts aujourd’hui, la volonté de diversifier les pratiques proposées aux étudiants, de les introduire à différents savoir faire techniques et d’étoffer leurs compétences, a conduit à organiser en janvier un workshop sur la fonte à la cire perdue avec Fabien Barrero Carsenat, designer et ancien diplomé de l’ESADSE. Ce workshop a permis à 10 étudiants d’art et de design de se familiariser avec les techniques de la fonte et d’appréhender les possibilité plastique de cette pratique.

L’atelier Bijoux pendant la semaine de workshops à l’ESADSE s’est inscrit dans une dynamique de long terme.

Marie Aurore Sticker Metral et Elen Gavillet ont d’abord pu participer à l’atelier Bijoux organisé par Kristýna Španihelová à Bratislava en octobre 2023. Par la suite, elles ont bénéficié d’une Formation aux Meilleurs Ouvriers de France (MOF) avec plusieurs étudiants dans la perspective de transférer ces apprentissages à l’école. Bertrand Mathevet, de l’atelier métal, soutenu par l’école a pu investir dans le matériel nécessaire à la pratique de ce savoir faire dans l’école.

La pratique textile, absente de l’ESADSE il y a quelques années, a été développée progressivement, tout d’abord au gré de workshop et puis avec la volonté de l’inscrire de manière pérenne dans le cursus des étudiants. La semaine Arts and Crafts aujourd’hui à l’ESADSE a été une étape importante de cette pérennisation. L’acquisition d’outils à l’occasion de cette semaine permet la mise en place d’une pratique régulière au sein de l’école. L’enseignante qui a organisé l’atelier, Cécile Van Der Haegen, a été confortée dans son enseignement avec un nombre d’heures adapté et une possibilité d’associer étudiants en art et en design, ce qui diffère de la division habituelle des parcours.

De même la lithographie avait disparu de l’ESADSE, alors qu’elle avait été présente par le passé. Ici aussi, il s’est agi de se doter des outils, notamment en restaurant la presse. Les échanges avec les écoles de Porto et de Bruxelles ont permis à l’enseignante responsable et à un groupe d’étudiants de s’initier aux différentes techniques de la lithographie selon les écoles mais aussi les traditions spécifiques à ces différents lieux. Si la semaine Arts and Crafts aujourd’hui a marqué la réouverture de cette pratique à Saint Étienne, il y a eu un processus pédagogique associant étudiants et encadrants qui a permis de réinscrire cette pratique dans l’école de manière pérenne.