UQAM
Nouveaux
mondes sauvages
22-27
05/23
Lignes de désir :
la pratique de la peinture
Par leur mépris des effets plus qu’humains, les projets de paysage impériaux et industriels ont modifié le terrain des relations inter-espèces, favorisant l’émergence de Nouveaux Mondes sauvages.
Anna Lowehaupt Tsing, Proliférations
Dans un premier temps, nos explorations urbaines nous ont conduits le long de la voie ferrée depuis l’artère Notre-Dame vers la friche industrielle de l’ancienne Canadian Steel Foundries (CSF) à Montréal. Nous avons parcouru en tous sens cette portion déconcertante de nature sauvage dans Hochelaga, zigzagué sur ces prairies situées près du fleuve Saint-Laurent. En parcourant ce terrain vague, nous avons collecté des images d’herbacées, d’arbres et d’arbustes en plus des divers objets laissés à l’abandon. Dans un deuxième temps, nous tentions de recréer les agencements non conformes de la végétation dans une installation évolutive de nature expérimentale. Comment les espèces coexistent-elles dans cet espace interstitiel en déclin ? Comment prendre soin de ce à quoi nous sommes liés ?

Exploration sur la friche industrielle de l’ancienne Canadian Steel Foundries (CSF). Montréal, 2023
© A. Calderon
Résumé de l’expérience
Nos déambulations dans l’espace urbain avaient d’abord pour but de mettre en place un atelier ouvert puis une installation en salle d’exposition. Le développement de « Nouveaux mondes sauvages » (titre de l’exposition) servirait de prétexte pour discuter de certains enjeux tout en soutenant l’accomplissement personnel. Pour cela, nous devions identifier les rapports de domination et situer les contributions respectives. Ce processus impliquait d’établir un lien de confiance afin d’assurer le bien-être des participant.es. Nous avions en commun le désir de cultiver notre capacité à la réalisation de soi par la réappropriation de notre sens critique. En portant un regard lucide sur les végétaux de la friche industrielle de l’ancienne Canadian Steel Foundries (CSF) à Montréal, nous allions découvrir nos propres modes de résistance à ce que certain considère comme un corridor d’exploitation économique. Face à la crise de sensibilité au vivant, nous souhaitions aller au plus près de la nature pour faire une expérience sensuelle, afin d’entrer dans le politique par l’entremise de la peinture.

Exploration sur la friche industrielle de l’ancienne Canadian Steel Foundries (CSF). Montréal, 2023
© A. Calderon
Mon rôle consiste normalement à encadrer les pratiques individuelles des étudiant.e.s dans le cadre de leurs études en art. Un évènement précieux s’est produit lors d’une excursion culturelle en petit groupe au Musée des Beaux-arts du Canada à Ottawa. Nous avons constaté comment nous prenions aisément le risque de ralentir ensemble le rythme de nos vies. Le partage de l’expérience du moment est devenu une source d’enrichissement. L’effet de nos présences facilitait le contact entre nos sensations internes et externes et l’émergence aisé d’un état de lucidité. Comme dans la tradition bouddhiste, nous étions capables de canaliser nos énergies, d’être plus facilement attentifs aux choses pour « guérir » de nos maux. L’atteinte de cet état de pleine conscience servirait cependant d’autres buts que thérapeutique. Mon rôle de professeure, de directrice de mémoire et de thèse prit une tournure insoupçonnée.
Nos déambulations sur le terrain en friche nous ont permis de sortir dehors pour nous émanciper de certains systèmes d’oppressions grâce à des récits de soi. Dans la foulée des travaux de bell hooks, cette pédagogie engagée transforme le ou la pédagogue. Nous n’agissons plus simplement comme des facilitateurs·es ou des coordonnateurs·es de processus. L’éducation comme pratique de la liberté impliquerait plutôt un mouvement selon elle, la mise en place de conditions de perméabilité entre la réalisation de soi et l’émancipation collective. La compréhension des rapports sociaux de domination exigerait l’examen des rôles et responsabilités pour se positionner par rapport à eux. Les biais sexistes, racistes ou de classes sociales pourraient ainsi être discutés pour favoriser une prise de conscience politique.

Exploration sur la friche industrielle de l’ancienne Canadian Steel Foundries (CSF). Montréal, 2023
© A. Calderon
Perspectives : les lignes de désir
Selon Sara Ahmed, les lignes de désir sont des chemins ou trajectoires conceptuels que les individus créent à travers leurs mouvements, actions et désirs répétés au sein d’espaces physiques ou sociaux. Ces lignes représentent la manière dont nos désirs, nos orientations et nos habitudes façonnent les espaces que nous habitons, influençant nos expériences et nos interactions au sein de ces environnements. Ahmed utilise ce terme pour explorer comment nos désirs et nos mouvements contribuent à la formation et à la perception des espaces, tant physiquement que socialement.
La relation entre l’orientation sexuelle et les lignes de désir réside dans la manière dont les orientations, les désirs et les mouvements des individus façonnent leurs expériences au sein des espaces. Ces lignes ne concernent pas uniquement l’orientation sexuelle; ils englobent plutôt tous les désirs et mouvements et la capacité de déroger des normes ou structures imposées. Cependant, Ahmed explore comment l’orientation sexuelle d’une personne, en tant que facette de l’identité et du désir, influence les chemins qu’elle emprunte, les espaces qu’elle habite et les structures sociétales qu’elle rencontre. Par exemple, en discutant de la phénoménologie queer, Ahmed examine comment les individus LGBTQ+ peuvent naviguer ou remettre en question les normes et les espaces sociétaux, créant leurs propres parcours en marge des sentiers battus.

Lignes de désir en périphérie du site de la friche industrielle de l’ancienne Canadian Steel Foundries (CSF). Google Earth 3D
Comment prendre soin
de ce à quoi nous sommes liés ?
La transposition de notre expérience dans un lieu d’exposition devait ainsi permettre de créer les conditions pour l’unification de la pensée, du corps et de l’esprit. L’installation a ainsi été le résultat d’une approche holistique de l’enseignement, loin de formes coercitives de normes sociales. La reconnaissance mutuelle nous rendait vulnérables en milieu académique, car elle exigeait une mise à plat des rapports de pouvoir. Des discussions constructives, parfois difficiles, sur les attentes et besoins respectifs ont permis de clarifier les contributions des participant·es. Ces processus de subjectivation ont une fois de plus servi à développer une plus grande autonomie. De surcroit, ce travail partagé demandait de l’intégrité, du respect mutuel et une sincère capacité d’ouverture à l’autre. Partager l’expérience de la création en groupe plus large par la suite favoriserait une fois de plus cette prise de parole et ces actions collectives adaptées à nos luttes antiracistes, écologiques et féministes.
La question théorique de la « matérialité des engagements » et du « comment donner corps à la recherche » s’est enrichie de voix, d’expériences et de perspectives stimulantes comme autant de bifurcations pédagogiques. L’écoute et l’établissement des responsabilités face au sujet à l’étude ont finalement favorisé l’affirmation de chacune des voix présentes, des besoins individuels des apprenants. Nous nous sommes mis en mouvement vers un dénouement artistique incertain afin d’acquérir de nouvelles connaissances en fonction des styles d’apprentissages.
Comment les espèces
coexistent-elles dans cet espace
interstitiel en déclin ?
Christine Major, artiste et professeure à l’ÉAVM (UQAM) en collaboration avec les étudiant·e·s, Jacinthe Marcoux-Derasp, Loïc Bonche et Andréa Calderon.
Autres collaborateurs : David Lafrance, Louis-Philippe Côté.
D’abord en phase avec soi-même, puis avec d’autres personnes, nous avons tenté de restituer la vitalité et la fluidité des formes de coexistence de la nature en milieu urbain. Notre recherche nous a ensuite amenés à mettre en espace cette observation attentive de la nature qui poussent à l’état sauvage, de capter son mouvement, sa densité et sa fluidité. Le titre de cette installation suggère l’idée d’une exploration et d’une découverte, non seulement dans le contexte géographique, mais aussi dans le domaine des idées, des expériences et perceptions. Ces « mondes » pourraient se référer aux espaces urbains, à la nature sauvage, mais également aux perspectives personnelles et collectives que les participant.es peuvent découvrir au cours de leur voyage. Ces récits sont hantés par la quête de liberté, car selon ses dires, ces mondes sauvages auraient la capacité de surgir dans les interstices de la mondialisation et de la perturbation écologique.

École d’été 2023.UQAM.
Nouveaux mondes sauvages. Installation. Exposition au CDEx
© G. L’Heureux
Est-ce que ce dispositif encouragerait l’éclosion des formes « sauvages », en célébrant un certain désordre des choses ? Par conséquent, cette exposition mettait-elle en avant la convergence entre de mondes nouveaux et des espaces où les individus et les idées peuvent s’épanouir sans contraintes ? Ces interrogations ont guidé le développement et la scénographie de cette exposition.
En résumé, la réalisation de cette exposition visait à encapsuler les notions de découvertes, de transformation, de redéfinition, d’ouverture et d’exploration. Cela a créé une toile conceptuelle riche pour ce projet artistique et pédagogique, encourageant à explorer la nature, la créativité, les relations et les idées d’une manière inattendue et innovante. Ce fut un plaisir d’établir les conditions de cette expérience humaine en relation avec l’environnement sachant que les problèmes écologiques et sociaux sont souvent liés.

École d’été 2023. UQAM|Nouveaux mondes sauvages| Installation|Exposition au CDEx
© G. L’Heureux

École d’été 2023.UQAM|
Nouveaux mondes sauvages|Installation. Exposition au CDEx. École d’été 2023
© G. L’Heureux
Matière en acte :
formes en émergence
22-27
05/23
Dominic Papillon artiste et professeur à l’ÉAVM (UQAM) en collaboration avec l’étudiant Émile Riopel et le technicien responsable de l’atelier de moulage Alexis Lepage.
Autre collaborateur : David Lafrance.
En un mot : former signifie d’un côté faire, c’est-à-dire accomplir, exécuter, produire, réaliser, et, de l’autre, trouver la manière de faire, c’est-à-dire inventer, découvrir, figurer, savoir-faire. C’est de cette manière qu’invention et production procèdent de pair, que l’on ne trouve la règle de la réalisation qu’en œuvrant, et que l’exécution est application de la règle dans le mouvement de sa découverte.
Luigi Pareyson et al
Contexte
Dans le cadre des activités « zones d’apprentissage » de l’École d’été Art & Craft aujourd’hui, un évènement qui a eu lieu à l’été 2023, j’ai mis sur pied et animé un atelier sous le titre Matière en acte : formes en émergence. Cet atelier se déployait dans trois locaux au 5e étage du pavillon Judith-Jasmin où se situent les ateliers spécialisés pour les cours de sculpture. Ces locaux incluaient un espace polyvalent servant pour le dépôt et la cueillette d’éléments tournés ou fabriqués, une partie de l’atelier de façonnage dédié au travail à chaud du verre et l’ensemble de l’atelier de moulage.
Cet atelier visait à sensibiliser les personnes participantes à la dimension heuristique de la mise en œuvre des matériaux en les invitant à suivre ceux-ci (Bennett, 2008) à travers l’exécution de manœuvres techniques simples ou complexes. Sur le plan théorique et réflexif, l’atelier m’aura permis de creuser plusieurs enjeux artistiques et pédagogiques à travers des questions comme : quelles sont les relations entre la maîtrise technique et la créativité ? Comment se jouent les relations entre le projet anticipé et son processus de réalisation ? Quelles sont les formes d’agentivités qui entrent en jeux dans l’émergence des formes dans ce type d’environnement ? Quels types de savoirs sont mobilisés dans ce type d’activité et comment sont-ils partagés ? Comment cultiver une pensée divergente dans un contexte institutionnel en enseignement des arts ?
Dès le départ, la formulation auprès des personnes participantes des objectifs de cet atelier demeura floue et les consignes furent volontairement réduites au minimum afin de favoriser la divergence des orientations individuelles. Concrètement, le point de départ était une liste de verbes imprimés sur papier représentant des actions, des gestes ou des opérations techniques inspirés de l’œuvre Verb List créée par le sculpteur Richard Serra en 1967. Les personnes participantes étaient invitées à effectuer ces verbes à travers les différents moyens qui étaient mis à leurs portées. Ces moyens incluaient notamment : des objets amassés préalablement et déposés à l’atelier polyvalent (J-5075), des moules récupérés et mis à leurs dispositions, des matériaux comme de la cire de fonderie, du plâtre, de la filasse, de l’argile de coulée ou en pâte et des tiges de verre.

Liste des verbes d’actions inspirés de l’œuvre Verb List créée par le sculpteur Richard Serra en 1967
Déroulement de l’atelier
et observations
L’atelier s’est déroulé sur une période de trois jours à raison de quelques heures par jour. En plus du technicien Alexis Lepage, des assistants Émile Riopel et David Lafrance et de moi-même, un total de trois personnes étudiantes et une professeure ont participées à l’atelier.
Ma première observation est que le matériel disponible dans l’espace de dépôt fut très peu intégré aux activités des personnes participantes. À ma connaissance, seulement deux éléments auront été utilisés par deux personnes, soit : une carte géographique et une chaise en bois. Je crois que l’emplacement physique des locaux a grandement contribué à cette sous-utilisation; les deux espaces étant situés aux extrémités d’un corridor en zigzag long de plus de cinquante mètres. Ce facteur semble être également en cause pour l’utilisation du dépôt en lien avec les autres ateliers.
Ma deuxième observation est que les dispositions (Bourdieu, 1998) des individus semblent avoir été déterminantes dans leur engagement et dans la forme que leurs activités ont pris; au point où plusieurs d’entre elles semblent avoir ignoré le point de départ qui était la liste de verbe. Je pourrais évoquer à titre d’exemple le fait qu’une étudiante aura choisi de réaliser un moule à pièce, un processus technique long et complexe, plutôt que d’utiliser l’un des nombreux moules prêts à l’emploi. Plusieurs raisons pourraient expliquer ce choix. Le désir de procéder à partir de la forme qu’elle a elle-même créée ou le désir d’apprendre une technique traditionnelle sont des raisons plausibles.
De façon générale, les personnes avaient tendance à solliciter Alexis de la même manière que normalement elles le feraient pour un projet pratique. Certaines personnes semblaient approcher le geste technique davantage à titre de tâche nécessaire pour l’atteinte d’un but qu’à titre de méthode de découverte (heuristique).
L’autre élément qui est ressorti de cette expérience pédagogique et qui découle du point précédant est d’une part les limites des actions possibles dut aux contraintes fonctionnelles des tâches et le rôle prépondérants du lieu à titre de chaîne opératoire (Bril, 2019). D’un point de vue écologique (Walls et Malafouris, 2016), l’atelier de moulage à titre d’environnement offrait un ensemble de possibilités très riches tout en orientant et restreignant fortement l’éventail de celles-ci en termes d’affordances (Estany et Martínez, 2014).

Atelier de moulage|Tirage de copies en argile de coulée dans des moules à pièces en plâtre
Plusieurs de mes observations concernent les interactions entre personnes participantes et le partage des savoirs. À plusieurs moments, des conversations ont spontanément émergé de l’activité en cours. Par exemple, l’ajout de pigment bleu dans la masse de plâtre en pâte aura provoqué un échange sur la composition minérale et organique des couleurs pour aboutir sur un ensemble d’interrogation en lien au fait que celle-ci est très peu présente dans le monde végétal.
Toujours en ce qui concerne le partage, mais plus spécifiquement en regard des savoir-faire, je constate que l’exécution d’un geste technique à titre de démonstration demeure un moyen pédagogique fondamental et incontournable. Nous savons depuis la découverte des neurones miroirs de Rizzolatti que le fait de voir une action être exécutée active les mêmes mécanismes neuronaux que si l’action était exécutée par la personne qui observe (Berthoz, 2013). Si l’incorporation ne peut se faire que par l’exercice de la personne elle-même, le fait de voir un geste se dérouler constitue un puissant moyen de transmission (Nourrit et Rosselin-Bareille, 2017).
Également, en collaboration avec la professeure Christine Major, nous avons imaginé un croisement entre mon atelier et le sien, Nouveaux mondes sauvages. Les deux ateliers évoluant en parallèle, ceux-ci devaient converger vers un même évènement à la fin de la semaine d’activités de l’École d’été; la création et la présentation d’une installation au Centre de diffusion et d’expérimentation (CDEx) situé à l’UQAM. Plusieurs des éléments produits dans le cadre de l’atelier Matière en acte : formes en émergence ont été intégrés dans cette installation réalisée collectivement. L’un de ceux-ci fut un « cadre » en plâtre multicolore fabriqué par Alexis grâce à la méthode du trainage. Je mentionne cet élément pour deux raisons. Premièrement, il a été réalisé spontanément à la toute dernière minute. Deuxièmement, la forme finale de l’élément intégré est le résultat d’un « accident ». Alexis possède une expertise en moulage, mais la façon dont il a produit le cadre démontre à la fois une maîtrise et un certain bâclage1 (Lacombe, 2014). Ceci a notamment résulté dans le bris du cadre lors du transport de celui-ci vers le CDEx. Au final, ce sont des fragments du cadre qui ont été intégrés à l’œuvre. Ceci soulève plusieurs questions en ce qui concerne les conditions d’achèvement d’une œuvre (Menger, 2014).
- 1 Je développe présentement cette notion dans le cadre de mon projet de doctorat en lien à la notion de malfaçon.
Conclusion
Ce bilan est extrêmement sommaire, mais me permet d’anticiper plusieurs développements théoriques et pédagogiques dans un avenir rapproché.
L’atelier Matière en acte : formes en émergence fut apprécié des personnes participantes même si celles-ci ont manifesté un peu de confusion initialement. Le temps très restreint a impacté négativement le bon déroulement de celui-ci. Dans un contexte différent, celui-ci pourrait porter vers des résultats beaucoup plus probants. Des méthodes d’explicitation comme l’écriture phénoménologique, l’entretien ou le groupe de discussion (focus group) pourrait grandement enrichir les retombés au niveau de la recherche, mais également au niveau pédagogique. De façon générale, certaines composantes auront besoin d’être repensées afin d’optimiser l’expérience des participants. Je pense notamment à la relation entre contraintes du cadre de l’activité et les libertés individuelles.
L’imprimé comme révélateur
d’un imaginaire
Andrée-Anne Dupuis Bourret et Gwenaël Bélanger, artistes et professeur·e·s à l’ÉAVM (UQAM). Cécile Barraud de Lagerie, professeure à l’ArBA/EsA de Bruxelles. Poli Wilhelm et Clara Painchaud, étudiant·es à la maitrise en arts visuels et médiatiques de l’ÉAVM (UQAM). Mathieu Jacques et Emmanuelle Jacques technicien·e·s en travaux pratiques.
Contexte
Dans le cadre des activités « zones d’apprentissage », nous avons planifié et animé un atelier sous le titre L’imprimé comme révélateur d’un imaginaire collectif. Les prémices de cette activité étaient :
-
1
Explorer des stratégies pour faire émerger une iconographie commune au groupe de recherche dans un contexte de partage, de collaboration et par un auto-apprentissage d’un procédé d’impression, la sérigraphie
-
2
Cocréer un dispositif de monstration afin de présenter les résultats de cette exploration.
Le procédé d’impression en sérigraphie fut choisi à la fois pour ses caractéristiques graphiques, sa portée démocratique et sa rapidité de réalisation. Ce procédé fait également partie de l’histoire du développement des arts d’impression au Québec avec une implantation particulière dans le paysage culturel montréalais, notamment pour son usage dans le domaine de l’estampe, du design graphique, de la bande dessinée, de l’art textile, de la publicité, du monde musical, etc. De plus, il permet de relier les approches en art et en design graphique qui sont interconnectées au sein du mouvement Art & Craft. Il faut mentionner que l’atelier de sérigraphie de l’ÉAVM est un lieu très fréquenté par les personnes étudiantes et chercheuses, car il favorise l’hybridité des médiums, l’exploration des matérialités et des supports d’impression ainsi que l’interdisciplinarité dans un contexte collectif très convivial. L’intention de transmettre cette expérience était au cœur de cet atelier
Approche pédagogique collaborative
Le plus souvent, l’apprentissage d’un savoir-faire passe par plusieurs étapes de démonstrations, d’explications théoriques, de présentations visuelles, d’exemples, d’exercices, etc. Dans le cas de notre atelier de l’école d’été, le temps étant très court, il n’était pas possible de transmettre l’ensemble de toutes les informations et explications techniques. Les participants étaient alors plongés très rapidement dans le travail d’atelier. Nous avons pu ainsi expérimenter une approche basée sur un apprentissage en accéléré. Il devenait alors intéressant de voir de quelles façons les participants allaient s’engager dans l’aventure et comment ils allaient s’approprier une technique qu’ils ne connaissaient pas.
Dans le cadre de notre réflexion sur les bifurcations pédagogiques en contexte d’apprentissage pratique et en continuité avec les approches pédagogiques employées dans nos cours en arts d’impression à l’EAVM, nous avons expérimenter avec les personnes invitées l’approche pédagogique collaborative en ayant une double visée d’exploration : « apprendre à coopérer, coopérer pour apprendre » (Legendre, 2005). Dans ce contexte, la personne sent sa fonction de transmission s’éloigner du cadre traditionnel de l’enseignement et s’engage dans un « processus de changement de son rôle, de son rapport au pouvoir, de sa relation aux autres et de son organisation pédagogique » (Le Gal, 1999, p. 20). Son rôle devient celui de créer « un climat de classe favorable » afin d’engager les personnes apprenantes « à utiliser des habiletés coopératives » en structurant les activités des apprenants pour « favoriser la coopération entre individus » au sein de l’atelier (Lavoie, A., Drouin, M. et Héroux, S., 2012).
Émergence d’un vocabulaire visuel
Lors de la première journée de la semaine de l’école d’été, nous avons accueilli les personnes participantes avec une courte présentation sur les arts d’impression au Québec et sur le développement de ces procédés au sein de notre école ainsi qu’avec une démonstration d’impression performative pour présenter les potentialités du médium. Ensuite, les personnes participantes furent invitées à développer un vocabulaire visuel autour du thème Art & Craft aujourd’hui, plus spécifiquement en lien aux modes d’apprentissage, aux outils utilisés au sein de la création et aux motifs pouvant être reliés à ce thème. Une stratégie fut mise en place pour faire émerger ce vocabulaire : la création de trois stations de travail où étaient disposées des questions sur des petits panneaux de carton (deux par stations) et du matériel pour développer des éléments visuels. Ces éléments (lignes, formes, schémas et mots) ont été réalisés par différentes techniques analogues et numériques pour la production de clichés : encre de chine, dessin et écriture au crayon graphite, découpage de forme dans des cartons, numérisation et traitement numérique de certains textes et images (par exemple, ajout d’une trame d’impression), etc. Une majorité des éléments furent ensuite transférés sur des dizaines d’écrans de sérigraphie. Étant donné la densité des activités de la semaine, les écrans furent préparés le soir même en vue des séances l’impression qui commençait dès le lendemain matin.

École d’été 2023,UQAM|L’imprimé comme révélateur d’un imaginaire.
Vue d’atelier
Production d’images imprimées
La deuxième journée débutât par une démonstration de quelques rudiments de la sérigraphie afin de démystifier le procédé et ses potentialités, principalement sur le procédé de transfert des images sur l’écran, puis sur comment préparer son espace de travail pour l’impression. Les personnes participantes ont été invitées à choisir des écrans de sérigraphie préparés avec des clichés, des supports d’impression (papier, carton ou textile), et des encres de couleurs. Elles étaient souvent surprises de découvrir des éléments qui ont été produits la veille.
Tout au long de l’atelier, l’approche collaborative de la combinatoire fut privilégiée lors de l’impression. La majorité des personnes ont travaillé en petite équipe de deux ou trois personnes. L’impression a débuté dans la joie avec le soutien des personnes auxiliaires et de l’équipe technique. L’énergie heuristique était contagieuse et a mené à une très grande production d’images. Plusieurs personnes sont revenues chaque jour faire des impressions, d’autres passaient à l’occasion pour imprimer ou pour voir la production des autres.

École d’été 2023, UQAM|L’imprimé comme révélateur d’un imaginaire.
Vue de l’atelier d’impression sérigraphie

École d’été 2023, UQAM|L’imprimé comme révélateur d’un imaginaire.
Vue de l’atelier d’impression sérigraphie
Cocréation d’une installation et d’une publication
Au fil de la semaine, nous avons accumulé beaucoup d’éléments. Cependant, il fut difficile de mobiliser les personnes participantes pour cocréer la présentation du travail réalisé à cause des nombreuses activités et visites hors mur des dernières journées. Cette portion de l’atelier a donc été réalisée avec les personnes auxiliaires qui se sont beaucoup impliquées dans la réalisation d’une installation qui rassemblait tous les éléments produits. Nous avons privilégié un accrochage au mur en créant des ensembles par alternance en fonction des motifs et des couleurs. Nous avons également intégré des éléments du processus, dont des clichés, et des écrans de sérigraphie afin de faire état du processus. Bien que cette étape fût réalisée avec une équipe resserrée, elle a permis de bien transmettre l’esprit de l’atelier. Nous avons également intégré d’une trame musicale nous ayant accompagnés lors du montage ce qui a donné des airs de fête à notre présentation.
Une petite publication (œuvre à emporter) produite à soixante exemplaires (une feuille de papier journal de 18 x 24 pouces imprimée recto-verso et pliée en quatre) fut distribuée aux personnes présentes lors de la présentation.

École d’été 2023, UQAM|L’imprimé comme révélateur d’un imaginaire| Installation|Rassemble tous les éléments produits|Les clichés et les écrans de sérigraphies pour faire état du processus
Constats et questions
Cet atelier a permis d’explorer des méthodes d’apprentissage par la collaboration et par des propositions ouvertes. Il était intéressant d’observer comment les participants font usage des lieux, des équipements sans avoir nécessairement les connaissances et compétences techniques. De ce contexte émergea de la joie, de l’entraide, et des amitiés. D’une certaine manière, cette expérience a également initié des réflexions à poursuivre :
-
1
Comment on s’inscrit dans une communauté d’apprentissage
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2
Quels sont nos rôles et responsabilités en tant que personne enseignante et personne apprenante
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3
Comment on cohabite dans un atelier, comment on se disperse et se rassemble au sein d’une communauté d’apprentissage
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4
Le fait de ne pas connaitre toutes les règles et les bonnes façons de faire (d’un procédé ou d’une technique) peut-il contribuer à créer un contexte de création stimulant et favorisant une liberté d’action (sans la pression de ne pas faire correctement ce que l’on nous a montré) ?
Table de travail
Romeo Gongora, artiste, docteur en arts du Goldsmiths College et professeur à l’ÉAVM (UQAM).Samuel Alie et Gabriel Sierra Henao, Alvaro Marinho, minette carole djamen nganso et Ericka Bilodeau, participant·e·s étudiant·e·s Gérard Lamoureux, appariteur en travaux pratiques.
Description de l’expérience
L’expérience de création de la zone d’apprentissage lors de l’École d’été Art & Craft/Aujourd’hui a été extrêmement enrichissante. L’installation, construite à partir d’éléments récupérés et agrémentée d’œuvres d’art, a créé un environnement unique propice à la réflexion, au partage et à la détente. Cette approche a permis de transformer un espace vide en un lieu dynamique qui a suscité l’intérêt et l’engagement des personnes participantes.
L’idée de cette zone d’apprentissage est née de ma propre expérience lors d’une école d’été précédente où l’absence d’un lieu de rencontre approprié avait limité les possibilités de ressourcement, d’échange, de collaboration et de réseautage. Il m’a semblé évident qu’il était nécessaire de créer un espace dédié au dialogue et au repos, offrant aux personnes participantes une pause bienvenue dans leur emploi du temps chargé.
Production de l’expérience
Le processus de conception et de production de l’installation a été marqué par une collaboration étroite avec les zones d’apprentissage « Écologie des pratiques A&C » et « Hors-piste » de Adriana de Oliveira, Laurence Sylvestre, Andrée-Anne Dupuis Bourret et Susan Turcot. Ces échanges ont permis d’intégrer leurs idées et leurs perspectives, enrichissant ainsi le concept global de la zone d’apprentissage. En travaillant ensemble, nous avons créé un espace qui, non seulement offrait une expérience de détente, mais qui encourageait également les interactions et les discussions autour de l’art et de l’artisanat contemporains.
Le travail collaboratif s’est manifesté de différentes manières. Tout d’abord, j’ai décidé de ne pas produire une installation individuelle, mais plutôt de mettre l’accent sur la collaboration. Deux personnes étudiantes, Samuel Alie et Gabriel Sierra Henao, m’ont assisté tout au long du processus de montage de l’installation. Samuel a créé un banc en bois fait à la main, invitant les participants à s’asseoir et à engager des conversations sur l’art et l’artisanat. Gabriel, quant à lui, a réalisé des cadres en bois pour mettre en valeur les œuvres d’art exposées dans la zone d’apprentissage.
En outre, la contribution de trois autres personnes étudiantes, Alvaro Marinho, minette carole djamen nganso et Ericka Bilodeau, a été cruciale pour enrichir l’espace. Ces personnes ont prêté des œuvres d’art qui ont dynamisé l’installation et ont permis de présenter différentes approches de l’art et de l’artisanat contemporains. L’appariteur Gérard Lamoureux a également apporté une contribution significative en fournissant des tissus récupérés, ajoutant ainsi une dimension visuelle et tactile à l’ensemble.
Perspectives à venir
Cette expérience a ouvert la voie à une réflexion plus large sur la récupération d’objets usagés et leur transformation en œuvres d’art. Plutôt que d’installer l’espace avec des matériaux neufs, j’ai misé sur la récupération et l’utilisation d’objets usagés. Cela a permis de donner une nouvelle vie à ces matériaux tout en promouvant une approche éco-responsable de l’art. Cette expérience a ouvert la voie à une réflexion plus large sur la récupération d’objets usagés et leur transformation en œuvres d’art. Elle a démontré la valeur de repenser la notion de déchet et de donner une seconde vie aux matériaux abandonnés. Cette approche de récupération artistique a le potentiel de sensibiliser davantage les personnes participantes à l’importance de l’éco-responsabilité et à l’artisanat durable. En outre, cette expérience a mis en évidence le besoin d’une pédagogie de la convivialité, où l’apprentissage se fait dans l’expérience de la rencontre. Les moments de dialogue et de partage qui ont eu lieu dans cette zone d’apprentissage ont favorisé des échanges enrichissants et ont renforcé le sentiment d’appartenance de la communauté Art & Craft/Aujourd’hui. Il serait intéressant que cet espace d’apprentissage soit réitéré à leur façon par les autres partenaires.

École d’été, UQAM|2023

École d’été, UQAM|2023

École d’été, UQAM|2023
Écologie des pratiques A&C
Adriana De Oliveira, Laurence Sylvestre, Andrée-Anne Dupuis Bourret, Susan Turcot et Romeo Gongora, professeur·es à l’ÉAVM (UQAM), Montréal.Tania Lara Casaubon, étudiante à la maîtrise en arts visuels et médiatiques à l’ÉAVM (UQAM). Alice Finichiu, professeure à l’ArBA/EsA, Bruxelles.
Contexte
Cette « zone d’apprentissage » (ZDA) a été inspirée par la ligne du temps intitulée Art et contexte mondial, initiée et présentée à Tétouan, Maroc, par Alice Finichiu, professeure à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles (l’ArBA/EsA) dans le cadre des activités du projet international Arts & Crafts aujourd’hui. Dans une volonté de poursuivre la réflexion et la conversation au sujet des enjeux méthodologiques, épistémologiques et culturels que cette pratique courante en éducation et en histoire peut présenter, nous avons proposé d’explorer collectivement la ligne du temps dans une perspective d’écologie des pratiques1 proposée par Isabelle Stengers, misant sur la diversité, l’interconnexion et la dé-hiérarchisation des savoirs pour générer de nouveaux lieux de connaissances. Cette approche s’inscrit également dans une perspective de décolonisation des savoirs et des pratiques éducatives, préconisée par Boaventura de Sousa Santos2 et Catherine Walsh3 , qui met en avant le pluralisme, la collaboration et le dialogue entre différents systèmes de savoirs.
- 1 Stengers, I. (2002) Penser avec Whitehead : Une libre et sauvage création de concepts. Éditions Seuil
- 2 Santos, B. de S. (2018) Epistemologias do Sul : Movimentos Abissais. Coimbra : Almedina.
- 3 Walsh, C. E. (2022). Pedagogías decoloniales : Prácticas insurgentes de resistir, (re)existir y (re)vivir. Universidad Andina Simón Bolívar, Sede Ecuador.
Une démarche collaborative
et dialogique
Comment créer du savoir commun ? Comment faire apparaître des pratiques qui ont été invisibilisées ? Qu’est-ce que l’artisanat nous apprend ? Dans quel contexte avons-nous appris des techniques artisanales ?
Ce sont quelques-unes des questions générées par l’équipe composée de professeur·es et d’étudiant·es à partir desquelles nous avons élaboré collaborativement la ZDA Écologie des pratiques. Celle-ci comprenait des espaces de travail et de ressourcement de type autonome et continu tout au long de la semaine, telle que la ligne du temps, la table-broderie, la table-bouleau, la table de références sur l’art et l’artisanat, ainsi qu’une activité dirigée ponctuelle, le Jeu de ficelle. Dans une volonté d’interagir et d’échanger sur les questions soulevées ci-dessus, nous avons agencé cette ZDA avec les zones Rencontre et ressourcement et Hors-Pistes1 .
La ligne du temps, retravaillée par Finichou et ses étudiant·es et généreusement envoyée à Montréal, devient un riche fil conducteur des actions et réflexions dans cette ZDA. En l’abordant comme un objet de réflexion et de partage de savoirs, les personnes participantes étaient invitées à contribuer et à enrichir la ligne du temps à partir de matériaux diversifiés, en s’interrogeant sur les événements historiques qui pourraient être absents et sur la manière dont la structure narrative linéaire de représentation des événements historiques pourrait influencer notre perception de leur importance. Les interventions sur celle-ci se réalisaient de façon autonome de la part de l’intervenant ou en conversation avec les personnes présentes dans l’espace.
- 1 Ces ZDA sont présentées en détail dans le présent document.

École d’été, UQAM|2023
Le Jeu de ficelle, inspirée des écrits de Donna Haraway1 a servi de point de départ des activités de la semaine. Lors de la première journée, nous avons reçu les personnes participantes en petit groupe dans le but de partager des savoirs communs sur le thème Arts & Crafs Aujourd’hui. Les personnes ont été invitées à se regrouper en cercle pour échanger à partir de la question suivante : qu’est-ce que l’artisanat nous apprend ? Dans ce jeu, les prises de paroles sont distribuées à partir d’une balle de ficelle. La première personne qui prend la parole doit passer la balle à la suivante en gardant un bout de ficelle dans ses mains et ainsi de suite. Au terme de la journée, le motif dessiné par l’entrecroisement de la ficelle, déposé au sol, a permis de rendre compte de la richesse et multiplicité des connaissances partagées autour d’un même thème.
- 1 Haraway, D. (2014). Les jeux de ficelles avec les espèces compagnes : rester avec le trouble. Dans V. Despret et Larrère, R. (dir), Les animaux : deux trois choses que nous savons d’eux (p.24-59). Hermann Éditeurs.

École d’été, UQAM|2023

École d’été, UQAM|2023

École d’été, UQAM|2023

École d’été, UQAM|2023
La Table-broderie a été initiée par Tania Lara Casaubon, étudiante à la maîtrise en arts visuels et médiatiques. Sur cette table, des bouts de tissus, des ballots de fils de toutes sortes, des petits et grands cerceaux, des ciseaux, des aiguilles ainsi qu’un mode d’emploi étaient disposés et présentés comme source d’inspiration. En conjuguant la matérialité à la pensée artisanale de Tereza Cunha1 , Casaubon proposait de mettre en avant les savoirs situés liés à l’artisanat d’hier et d’aujourd’hui. Au gré des connaissances et des expériences partagées par les personnes participantes, des récits abordant les manières de faire, les usages et fonctions de l’artisanat au fil du temps ont émergé permettant ainsi d’enrichir la réflexion sur de nouveaux usages de l’artisanat aujourd’hui. Des liens ont été tissés entre la table de broderie et la ligne du temps par le biais d’entretiens audio faisant foi d’un partage de savoirs co-construit tout au long de la semaine de l’école d’été.
Dans le cadre de la première journée d’activités de cette ZDA, Susan Turcot a activé la Table-bouleau en invitant les personnes présentes à choisir un morceau d’écorce de bouleau. Elle les a encouragées à observer et à apprécier la manière dont sa couleur, sa structure et ses lenticelles se sont formées au fil du temps. Elle leur a suggéré d’explorer la matérialité de l’écorce, de l’écouter, de la toucher, de dessiner à sa surface, de la sculpter ou simplement de l’apprécier sans intervention. Ce regard porté sur l’écorce de bouleau comme matière naturel fait ici référence à l’artisanat comportant une relation d’intimité avec l’environnement immédiat.
- 1 Cunha, T. (2023). Ecologias feministas de saberes e os cuidados : Um ensaio sobre a pandemia, Do sofrimento à emancipação diálogos entre a saúde coletiva e as epistemologias do sul, Saúde em Debate 345, sous la Direction de Gastão Wagner de Sousa Campos, 391-41.
Constats et perspectives
Nous avons constaté que cette expérience pédagogique, basée sur un processus collaboratif, participatif et dialogique entre professeur·es et étudiant·es, a permis l’émergence d’un espace où des savoirs multiples ont pu coexister et d’amorcer une perspective décoloniale et féministe dans la représentation historique des événements dans la ligne du temps Art et contexte mondial. Cet outil pédagogique a ouvert une réflexion, entre autres, sur l’impact de la colonisation au Québec et au Canada, en particulier les effets dévastateurs de la Loi sur les Indiens (1876) sur l’expression culturelle autochtone. En examinant la ligne du temps, nous avons relevé l’ironie que, tandis que les autorités coloniales confisquaient ou détruisaient des objets culturels autochtones, le mouvement Arts & Crafts, initié par William Morris en Angleterre, mettait en avant l’importance de la transmission des compétences artisanales. Cette démarche a également permis de remettre en question la structure narrative linéaire des lignes du temps, qui ne reflète pas toujours les perceptions temporelles circulaires ou cycliques de certaines cultures, notamment autochtones.
Nous avons remarqué que la synergie avec les ZDA Rencontre et ressourcement, qui favorisait un espace de convivialité où les apprentissages se construisent par une expérience de rencontre (Gongora), et Hors-Pistes qui nous invitait à appréhender la matérialité dans sa puissance discursive pour tisser des liens (Turcot), a contribué grandement à réfléchir sur des questions communes par d’autres portes d’entrée. Cela étant dit, l’approche non dirigée et en continu de certaines activités a soulevé quelques défis. Bien que nous ayons affiché dans l’espace des questions et des mots-clés pour susciter l’engagement, nous avons constaté que des indications plus explicites auraient encouragé davantage l’autonomie des personnes participantes dans le contexte bouillonnant de l’école d’été.
L’expérience décrite ouvre plusieurs perspectives intéressantes. Tout d’abord, elle a permis d’amorcer une réflexion à plusieurs sur des sujets importants tels que la décolonisation des savoirs dans nos pratiques éducatives. Ces discussions peuvent se poursuivre et se développer dans d’autres contextes pédagogiques, contribuant ainsi à une meilleure compréhension et à une plus grande sensibilisation à ces enjeux. Enfin, les liens tissés entre les différentes activités et entre les personnes participantes peuvent servir de base pour des collaborations futures, que ce soit dans le cadre de projets de recherche, d’initiatives communautaires ou d’événements culturels. Cette expérience a donc le potentiel de créer des réseaux durables et de favoriser le développement d’une communauté éducative engagée et inclusive.
Matérialité engagée du « PENSERéAGIR :
travail—œuvre— action »
en conversation avec Hannah Arendt
Mario Côté, artiste et professeur associé à l’ÉAVM (UQAM). Catherine Béliveau, artiste et chargée de cours à l’ÉAVM (UQAM). Isabelle Miron, poète, romancière et essayiste, professeure au Département d’études littéraires (UQAM).
Qu’en est-il des formes du « penser et agir » (ré-agir) qui puiseraient dans la matérialité de l’action de lire/écrire, d’écouter/parler et d’imaginer/concrétiser ? Sur une table, les pages éparpillées tirées d’une conférence et découvertes presque par hasard, celles d’Hannah Arendt portant le titre : Le travail, l’œuvre, l’action (1964)1
. Se retrouver, par la suite, avec des ciseaux pour lire, des voix pour découper, des lectures pour désapprendre et réapprendre, des lieux inadéquats pour entendre ce qui se trame, des pieds de marcheurs filmés pour lire haut et fort, des idées pour se perdre, de la matérialité pour des corps parlants. En fait, du travail, beaucoup d’ouvrage, et diverses actions qui sont solidairement démontées-remontées. En cours de route surgit une autre image, elle aussi trouvée par hasard. Une banderole accrochée au balcon d’une rue montréalaise confirmant un appel pressant :
Mais où est Hannah Arendt ?
- 1 Arendt. H. (2021). Le travail, l’œuvre, l’action in Penser librement. Éditions Payot & Rivages.

École d’été, UQAM|2023

École d’été, UQAM|2023
NOTES D’ARRIVÉE
EN FORME DE SYNTHÈSE INACHEVÉE
Lecture urbaine
À la suite de notre féconde « table de travail : zone d’apprentissage 5 » portant sur le remarquable texte de philosophie politique d’Hannah Arendt, un commentaire des plus enthousiastes est revenu à plusieurs reprises de la part des participants : « Nous avons particulièrement adoré la lecture collective tout en marchant. » Chaque participant dirigeait la lecture à tour de rôle en parcourant les ruelles de Montréal, découvrant autant les oasis inattendues de verdure que l’habituel trafic du centre-ville. Pendant que les autres s’affairaient à enregistrer son et images, la lecture à haute voix générait une attention amplifiée. L’écoute devenait une entreprise complexe. Car l’agencement des corps en déplacement dans l’espace urbain s’organisait spontanément autour du lecteur du texte qui entrainait le groupe au rythme de ses pas et des orientations qu’il prenait. On doit admettre que dans ces conditions, les multiples chantiers de construction repérables par la disposition souvent anarchique de cônes orange augmentaient l’impression d’une ambiance urbaine en perpétuelle « réparation ». Dans ces circonstances, les arrêts fréquents sur le texte d’Arendt, comme de petits embarras de parcours, conduisaient néanmoins à des échanges complices animés par l’actualité des questions qu’ils soulevaient. L’action d’entendre les mots dans un contexte de vie agitée permettait d’ancrer le discours dans la réalité, tout en prenant une distance avec la conjoncture historique qui les a fait naître. Elle offrait la possibilité de se concentrer notamment sur certaines idées et d’en partager collégialement la compréhension. Cela va de soi, il s’agissait d’une des quatre étapes de la zone d’apprentissage 5 qui a produit chez plusieurs participants une forme surprenante de lecture. Mais il ne faut surtout pas dissocier cette activité de son ensemble.
Marcher dans la philosophie
En fait, si nous retenons l’expérience de « la lecture en marchant » comme représentant la leçon la plus déterminante de l’atelier, c’est peut-être négliger les réelles interconnexions de cet exercice avec un ensemble plus vaste. En effet, ce résultat est devenu des plus concluants, stimulant et positif à plusieurs égards. Il a trouvé nécessairement son ancrage dans une intuition de départ, un texte d’Hannah Arendt, et une question, un texte de philosophie politique peut-il être objet de création ? Dans un premier temps, une série d’hypothèses de travail a avant tout été mise à l’épreuve par les trois artistes-pédagogues, initiateurs de l’atelier et, dans un deuxième temps, la matérialisation des intuitions à travers plusieurs activités interreliées dans lesquelles les participants se sont investis généreusement. Ne devrions-nous pas également considérer que le dispositif de « la lecture pendant de longue marche » fait référence à une procédure ancienne en philosophie occidentale ? Nombreux sont les philosophes de l’Antiquité grecque et romaine à aujourd’hui qui pensaient en marchant1 . Certes, tous les philosophes n’étaient ou ne sont pas en train de déambuler pour discuter, mais sans aucun doute la promenade à pied favorise une forme de méthode pour interroger comment « marche la marche » et comment « la pensée et le monde se déplacent »2 . Sans oublier que la marche implique immanquablement un ralentissement du rythme de la vie urbaine3 . Aller à pied, d’un point à un autre, suppose une constante adaptation de l’équilibre du corps devant une éventuelle chute, image double de l’arrêt et du doute4 . En fait, tout ce dispositif soutient sans aucun doute l’acte de création.
- 1 Droit, R.-P. (2016), Comment marchent les philosophes. Éditions : Paulsen.
- 2 Ibid., p.107. « La philosophie comme pensée debout, pensée dressée, peut donc se préoccuper d’objets infimes, éventuellement ignobles et méprisables, pour chercher fragments d’absolu et vérités durables. Inutile, de ce point de vue, d’opposer ceux qui regardent au ciel et ceux qui déchiffrent la terre. Tous se tiennent debout. Tous pensent en direction du vrai, donc de l’infini. »
- 3 Le Breton, D. (2012). Marcher. Éloge de la lenteur. Éditions Métailié.
- 4 De Baecque, A. (2015). Une histoire de la marche. Éditions Perrin.
Donner corps à la lecture
Revenons à ce qui a rendu possible cette activité réalisée dans le cadre de l’École d’été portant sur la matérialité des engagements dans le cadre de performer la recherche. Il est important de porter son attention sur l’ensemble des « opérations » entourant cette « procédure de lecture » qui a permis d’en générer un résultat dynamique et mobilisateur. N’oublions pas que la lecture prolonge l’acte préalable qu’a représenté l’écriture1 .
- 1 Bonn, S. (2022). Écrire, écrire, écrire. Éditions Arléa.
Atelier en quatre temps
Plusieurs étapes d’expérimentation se sont déclinées dans cette zone d’apprentissage 5.
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1
Un premier temps a permis aux participants de s’intégrer dans le groupe en s’identifiant personnellement. Cette forme de portrait oral des participants a été réalisée en perturbant la traditionnelle convention par le choix d’un mot tiré au hasard et soutiré justement du texte d’Hannah Arendt. Cette règle surprenante a conduit à outrepasser les formules convenues et familières et à « improviser » de nouvelles associations tout en dévoilant le type de « vocabulaire » avec lequel nous allions travailler subséquemment. Ainsi, il s’agissait de créer des liens inattendus entre nos singulières expériences d’artistes, d’écrivains, d’enseignants, et un éventail de mots qui pouvait apparaître du premier coup étranger
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2
Le deuxième temps portait sur un travail de matérialité même du texte. Dans ce contexte, l’entièreté de l’écrit d’Hannah Arendt a été imprimée sur des surfaces de papier grand format de 42 x 120 po (106 x 300 cm). Cette étape a été l’objet d’un travail de montage-remontage avec trois groupes distincts et d’intérêts différents. Un premier a découpé subjectivement les mots, les expressions et les phrases les plus attractifs à partir des dix premières pages déroulées à l’horizontale sur une longue table. Le choix des mots les plus accrocheurs, ce qui implique la récurrence de certains, a été fait d’une manière très spontanée comme pour tenter d’examiner ou d’apprivoiser le texte qui s’imposait par son contenu et son format. Par la suite, ces fragments de texte ont été collés sur une surface équivalente et occupant verticalement un mur entier. Un deuxième groupe a entrepris de poursuivre l’écriture à partir du précédent découpage et de créer soit de nouveaux assemblages, des agrégats de mots en paragraphes ou en strophes, soit des cartographies conceptuelles de notions inattendues. Une tentative d’imaginer du sens souvent poétique par juxtaposition et superposition de sédiments textuels. Enfin, un troisième groupe s’est retrouvé aux prises avec les dix dernières pages du texte. Ce qui s’est installé au mur était devenu aussi dense qu’illisible tellement il foisonnait de nouvelles reformulations. Sans oublier que la tâche s’est avérée des plus laborieuses puisque la plupart des participants du dernier groupe étaient majoritairement anglophones (Academy of Fine arts and Design Bratislava). Ces derniers ont avant tout tenté de déchiffrer le texte sur un plan visuel. Leurs interventions ont offert d’originales possibilités de relecture en créant de la signification à partir de sa dimension graphique et spatiale. Leurs démarches ont conduit à produire des ajouts parfois volumétriques qui débordaient de la planéité de la simple feuille papier
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3
Enfin, un quatrième temps a consisté à faire un retour sur l’ensemble des activités dans une forme installative où se sont entremêlés les projections d’images et de sons de la lecture urbaine, les collages de grands formats du texte relu, découpé et réécrit et les restes ou lambeaux textuels sur un deuxième mur. Nous nous retrouvions à l’intérieur même du texte lu dans le brouhaha de la ville, conçu par la captation souvent inattendue de détails, de gros plans et d’exclamations rieuses transformés en fresques de poésie graphiques, lisibles et illisibles tout à la fois.
Dans un certain sens, l’entièreté de ces ateliers avait sans doute permis de vérifier cette hypothèse du texte d’Hannah Arendt en matérialisant « le travail de nos corps, l’œuvre de nos mains et l’action de nouveaux commencements »1- 1 Arendt, H. (2021), p. 65. « Sans l’action, sans la capacité à commencer quelque chose de nouveau et donc à articuler le nouveau commencement qui vient au monde avec la naissance de chaque être humain, la vie de l’homme, qui s’écoule entre la naissance et la mort, irait fatalement à sa ruine sans espoir de salut. »
Avant et après
Il ne faudrait pas négliger deux autres données importantes quant aux aspects organisationnels des activités. Premièrement, les préparatifs de cette zone d’apprentissage ont été planifiés à trois têtes plusieurs semaines auparavant. Une équipe formée de deux artistes-enseignants en arts visuels, Catherine Béliveau et Mario Côté, et d’une écrivaine-professeure en études littéraires, Isabelle Miron, avait permis de concevoir les différentes étapes d’ateliers, en vérifier leur faisabilité et en discuter la pertinence dans un esprit de fertile complicité. Sans oublier la collaboration enthousiaste des techniciens Gérard Lamoureux et Pascal Seguel-Reynolds à repérer matériaux, outils, équipements adéquats, et de Mathieu Jacques et Janie Julien-Fort à imprimer avec sensibilité les textes de grand format. Deuxièmement, la totalité de ces ateliers s’est déroulée sur une très courte période, soit trois demi-journées. Le travail concentré de ces zones d’apprentissage aurait très bien pu se passer sur deux semaines et être ainsi approfondi davantage !
« On voit à la démarche de chacun s’il a trouvé sa route. L’homme qui s’approche du but ne marche plus, il danse. »
Anna Lowehaupt Tsing, Proliférations

École d’été, UQAM|2023

École d’été, UQAM|2023
Constellation d’apprentissages
En conclusion, ce n’est qu’en créant un ensemble de conditions que peut se concrétiser une « forme d’apprentissage » inédite. Par conséquent, mettre en place un contexte bienveillant, favoriser l’acceptation des niveaux et des attentes différents d’un groupe et produire des modalités « d’émancipation, d’écart et d’adaptation » par rapport au théorique peuvent conduire à une certaine ouverture de la réflexion spéculative qui s’entrelace à la pratique, au poétique et à l’artistique. Dès lors, l’atelier zone d’apprentissage 05 ne peut devenir qu’une complexe constellation du « faire » qui révèle ainsi toute la puissance de la matérialité du « penseRÉagir » régie sous le mode de la création.